Que s’est-il passé pendant la Grande Guerre dans les branches de la mission française après le retrait des missionnaires ? La situation ne fût pas la même en Belgique, en Suisse ou en France.
En Belgique (cent quatre-vingt-dix membres en 1912) : Les missionnaires quittèrent Liège le 6 août 1914, le jour même des premiers bombardements allemands. Pendant dix mois, les membres ne purent se réunir. La prêtrise locale se composait, pour Liège, des frères Herbert Huysecom (instructeur), Charles Devignez et Arthur Horbach (diacres) ; pour Seraing, de Victor Pirotte (ancien), Joseph Dieu (prêtre), Maximilien Renard et Michel Pleger (diacres). Il fut décidé de se réunir chez un membre pendant un an avant que l’occupant autorise les membres à reprendre leur local. Malgré les frustrations de cet état de guerre, les saints réussirent à préserver l’Esprit durant les réunions. Quinze personnes furent même baptisées au cours de cette période. [i] Pour pallier les restrictions, frère Huysecom n’hésita pas à abattre une vache pour nourrir les nécessiteux.
Témoignage d’un membre (enfant à l’époque) : « Les missionnaires sont partis !... Des grondements sourds et interminables se succèdent nuit et jour ; des hommes, des chevaux et des véhicules, dans un tintamarre étourdissant, se précipitent partout. Une rue du voisinage flambe, le pont vient de sauter, mes parents ont abandonné la maison. Je revois, sur la route, mon père secourant des malheureux soldats blessés et épuisés qui s’efforcent de rejoindre les régiments en retraite. C’est la guerre, nous sommes en août 1914 ; j’aurai bientôt cinq ans… »
Autre témoignage : « ‘L’Église doit subsister !’, c’est le mot d’ordre… Le réconfort et la consolation accueillent femmes et hommes dans les locaux de fortune où se tiennent les réunions, malgré l’interdiction occasionnelle de l’occupant. » [ii]
Après six longues années, frère Devignez annonça le retour des missionnaires… Les frères avaient mené leur tâche à bonne fin.
En Suisse (deux cent un membres en 1912) : Après l’évacuation des cent soixante missionnaires en août-septembre 1914, les branches de Suisse francophone furent de nouveau rattachées à la mission suisse et allemande présidée par Hyrum W. Valentine, qui y resta jusqu’en 1916. La direction des unités retomba ensuite sur les épaules des dirigeants locaux. Le président Valentine déclara : « Le zèle démontré par nos saints locaux pour le travail dans lequel ils sont engagés est vraiment remarquable. C’est un signe rassurant de la profondeur de leurs convictions. Plutôt que de se réduire, l’œuvre va de l’avant et progresse même un peu. » [iii]
La guerre resserra les liens et aucune branche ne ferma pendant le conflit. En 1915, la dîme fut plus généreuse que jamais. En 1915 et en 1916, cent cinquante personnes se joignirent à l’Église dans tout le pays.
Quelques anecdotes témoignent de la providence. Avant leur évacuation, deux missionnaires qui venaient de récupérer leurs chemises trouvèrent dans une poche une brochure sur l’Église qu’ils donnèrent au premier venu. Il s’agissait de Charles Puenzieux. Intéressés par ce qu’ils y avaient lu, sa femme et lui cherchèrent l’Église à Lausanne. Madame Puenzieux, qui faisait partie d’une société de « Femmes abstinentes », dut être séduite par la Parole de Sagesse. Ils se firent baptiser. Peu de temps après, Charles rencontra à l’armée Monsieur Liardet qui s’étonna qu’il ne bût pas de vin. Lui aussi devint membre et leurs descendants sont toujours membres de l’Église, un peu partout dans le monde. L’un d’eux, représentant la cinquième génération de membres de l’Église en Suisse, vient de rentrer d’une mission au Canada ! [iv]
En France (quarante-quatre membres en 1912) : Malheureusement, le peu de membres en France se retrouva sans berger. Il fallut reprendre presque de rien après-guerre.
Article écrit par Christian Euvrard, docteur en Sciences des Religions à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne.
Notes
1 Arthur P. Horbach, « ‘Mormons’ in Liège during the War”, Improvement Era, Volume 23, N°3, janvier 1920, pp. 262-63.
2 Paul J. Devignez, “L’histoire se répéta”, L’Etoile, février 1949, p. 23-25.
3 Lettre de Hyrum W. Valentine à Joseph Jensen, 10 mai 1916, CHL, SLC.
4 Informations obtenues auprès de Sylvia Contesse, petite fille de Charles Puenzieux.